Des failles dans la protection des mineurs dans le système mis en place par la Loterie Romande
Mercredi 21 février 2024
En Suisse, les jeux d’argent sont interdits aux moins de 18 ans. Toutefois, une enquête de l'émission A Bon Entendeur montre que le système de protection mis en place par la Loterie Romande est lacunaire et qu'il est facile pour un adolescent de réaliser des paris sportifs dans des kiosques.
Le phénomène est massif: en Suisse comme en Europe, les joueurs se ruent sur les paris sportifs en ligne, attirés par la possibilité de miser sur à peu près n’importe quelle compétition, avant ou pendant le match. Une fièvre qui consume littéralement certains joueurs et qui inquiète les spécialistes de la prévention.
"En quelques années, les paris sportifs ont rejoint le peloton de tête des offres de jeux les plus dangereuses", commente Olivier Simon, directeur du Centre du jeu excessif du CHUV. "En quatre ans, on a pratiquement un doublement des joueurs dits 'problématiques', particulièrement chez les jeunes adultes de 18 à 30 ans qui sont aujourd’hui les plus impactés", alerte-t-il mardi dans l'émission de la RTS A Bon Entendeur.
Un adolescent de 16 ans réussit à parier six fois
En Suisse, la Loterie Romande et son homologue alémanique Swisslos détiennent le monopole du pari sportif en ligne et la loi exige qu’ils protègent les joueurs contre les risques de dépendance. Les jeux d’argent sont par ailleurs strictement interdits aux moins de 18 ans.
Une enquête réalisée par A Bon Entendeur montre pourtant qu’il est facile pour un mineur de contourner cette interdiction à travers le système de paris "Jouez Sport" de la Loterie Romande.
En dix tentatives, un adolescent a pu parier six fois de l’argent sur un match sans la moindre difficulté. Via l’application dédiée, le garçon de 16 ans a choisi un match, un pronostic et un montant à jouer, sans devoir fournir la moindre information sur son âge ou son identité. Sur cette base, il a pu générer un QR-Code permettant de faire valider le pari dans un kiosque contre paiement de la somme prédéfinie. L’adolescent a répété l’opération 10 fois dans 10 kiosques genevois. Résultat: 6 kiosquiers sur 10 l’ont laissé parier de l’argent sans contrôle d’identité, de manière parfaitement illégale.
Ce n’est pas normal et nous allons continuer à former et à informer les kiosquiers Jean-Luc Moner-Banet, directeur de la Loterie Romande "Bien sûr que ça nous interpelle, ce n’est pas normal et nous allons continuer à former et à informer les kiosquiers", réagit Jean-Luc Moner-Banet, directeur de la Loterie Romande, qui affirme toutefois: "Nous avons un très bon programme qui oblige les kiosquiers (…) à venir passer une journée chez nous pour apprendre [les principes de prévention] et ensuite à suivre régulièrement des formations digitales et nous avons des visites, jusqu’à 8 ou 10 chaque année" par point de vente. Au-delà de ces contrôles lacunaires, les milieux de la prévention dénoncent un conflit d’intérêt dans le système actuel. "Les kiosquiers et tous les points de vente de jeux sont rémunérés à la commission en fonction du chiffre d’affaires qu’ils font", critique Camille Robert, co-secrétaire générale du GREA, le Groupement romand d’étude des addictions. "Comment voulez-vous surveiller (…) que les jeunes qui viennent jouer sont majeurs, alors que vous dépendez des 80 millions de francs que la Loterie Romande verse chaque année à l’ensemble de ses points de vente et de ses dépositaires en Suisse romande?" L'industrie du jeu blâmée Cette problématique dépasse largement celle de la protection des mineurs. "J’en veux à l’industrie du jeu", témoigne Stéphane (prénom d’emprunt), accro au jeu qui a perdu plus de 850'000 francs dans le pari sportif. Son plus gros coup, il l’a réalisé grâce au système de QR-Code de "Jouez Sport", avec lequel il a parié très gros sur un match de basket. "J’arrive dans un kiosque avec 50'000 francs. On ne me pose aucune question", résume-t-il.
D’après les informations de la RTS, les kiosquiers touchent 8% des montants pariés chez eux via "Jouez Sport". Dans ce cas précis, le kiosquier aurait ainsi encaissé 4000 francs. Jean-Luc Moner-Banet affirme que le chiffre de 8% n’est pas correct mais refuse de dévoiler la commission effectivement perçue, préférant indiquer que c’est "un petit peu moins."
Quant à la question d’un éventuel conflit d’intérêts, le directeur réfute catégoriquement: "Ces points de vente sont tenus d’accompagner [les joueurs], de faire attention à leurs comportements et, s’ils ont des soupçons de comportement excessifs, de les adresser à des milieux chargés de la prévention, de la lutte contre les addictions où ils vont pouvoir être soignés."
(Source : rts.ch/Alexandre Nicoulin, Cyril Dépraz, Linda Bourget)
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