Pour protéger les accros au Tactilo, deux visions s’affrontent

Lundi 1 novembre 2021

L’Autorité de surveillance des jeux d’argent serre la vis pour protéger les joueurs de loterie électronique. Mais l’exigence va trop loin pour la LoRo.

Ce sont des boîtes grises que l’on trouve dans un coin de 350 bistrots de Suisse romande. Leur aspect peu avenant est trompeur: les «Tactilos», ces machines proposant des jeux de billets électroniques à gratter, sont de véritables bombes pour les joueurs problématiques. Désormais, au même titre que les addicts ne peuvent plus pénétrer dans les casinos, les personnes dépendantes n’auront plus le droit d’y jouer.

La Loterie Romande, qui exploite les «Tactilos», vient cependant de déposer un recours contre cette décision. La LoRo insiste sur un point: ce n’est pas le principe de l’exclusion des joueurs à risque qui pose problème, mais «uniquement les modalités d’application»: «La Loterie Romande partage les préoccupations des milieux de la prévention pour la protection des joueurs contre les risques de dépendance, assure Jean-Luc Moner-Banet, directeur général de la LoRo. Elle met en place de nombreuses mesures spécifiques concernant la Loterie électronique.»

Pour le reste, ni l’Autorité intercantonale de surveillance des jeux d’argent (Gespa), à l’origine de cette décision, ni la LoRo, ne souhaitent donner de détails. «Le Matin Dimanche» s’est cependant procuré des informations qui font la lumière sur les motifs de la Loterie Romande. La LoRo veut effectivement appliquer des mesures d’exclusion, mais dans une version bien plus «light» que celles exigées par la Gespa.

Tout se joue sur la limite

Il existe deux manières d’appliquer une interdiction de jeu sur les «Tactilos». La première consiste à introduire un «login» sur les machines, de façon à forcer les joueurs à s’identifier et, le cas échéant, à leur interdire l’accès. La seconde prévoit de laisser le joueur souffrant d’addiction jouer, mais de le priver de ses gains éventuels. Selon nos informations, la Loterie voudrait opter pour cette seconde option, en fixant la limite de gains à 1000 francs.

C’est là où le bât blesse. Car le nombre de billets gagnants des jeux de loterie électronique dépassant les 1000 francs est très restreint: seuls quelques centaines de tickets gagnants sur plusieurs dizaines de millions dépassent les 1000 francs de gain. Autrement dit, une telle mesure ne toucherait qu’une infime minorité de joueurs. La Gespa aurait donc fixé une limite de gains à moins de 50 francs, provoquant le recours de la Loterie Romande.

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«L’accord de la Loterie Romande sur le principe même de l’extension de l’exclusion est une chose, les modalités de mise en œuvre de cette exclusion en sont une autre. Or, ce sont ces modalités qui différencient une mesure réellement protectrice d’une mesure alibi.»

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Interrogé sur ces éléments, Jean-Luc Moner-Banet se tient à sa volonté de ne pas entrer dans les détails, au nom du respect du «travail et de l’indépendance du Tribunal des jeux d’argent». Du côté de la Gespa, Pascal Philipona, membre de la direction, insiste sur la nécessité d’appliquer des mesures «concrètes» et «efficaces». «L’accord de la Loterie Romande sur le principe même de l’extension de l’exclusion est une chose, les modalités de mise en œuvre de cette exclusion en sont une autre, commente-t-il. Or, ce sont ces modalités qui différencient une mesure réellement protectrice d’une mesure alibi.»

Hautement addictifs

Le Groupement romand d’études des addictions (GREA) soutient sans surprise la décision de la Gespa. «Nous espérons que c’est l’option du «login» qui sera choisie, commente Camille Robert, chargée de projet Jeux d’argent. L’idée de ne pas payer les gains n’est absolument pas adéquate: on laisserait jouer des personnes dépendantes et en plus, on les priverait du peu d’argent qu’elles gagnent? C’est horrible.»

Camille Robert est coauteure d’un rapport publié ce printemps par le Centre du jeu excessif (CJE) du CHUV et le GREA. Celui-ci établit que les 700 «Tactilos» installés dans les troquets de Suisse romande depuis une vingtaine d’années se révèlent aussi addictifs que les jeux d’argent évalués comme les plus dangereux du marché. Au CJE, les demandes d’aide liées à la loterie électronique représentent depuis 2001 entre la moitié et le tiers des demandes d’aide totales.

Conflit d’intérêts

Ce constat, répété depuis des années par les milieux de la prévention, a donc finalement trouvé un écho auprès de la Gespa. Au niveau politique, le député vaudois Jérôme Christen (Les Libres) a récemment déposé un postulat exigeant, entre autres, un changement dans le système de rémunération des cafés qui hébergent les «Tactilos». Ils seraient rémunérés non plus à la commission mais selon un système forfaitaire.

Les tenanciers des cafés abritant les «Tactilos» sont en effet actuellement payés à la commission. C’est-à-dire que plus un client joue, plus le patron gagne d’argent. Et bien que les cafetiers soient tenus de suivre une formation au CJE pour veiller sur leurs clients accros, leur système de rémunération entraîne un inévitable conflit d’intérêts. Selon le rapport du CJE et du GREA, entre 2008 et 2019 les trois quarts des dépositaires disaient détecter les personnes ayant un jeu problématique. Seuls un tiers d’entre eux sont intervenus en conséquence.

En 2020, les loteries électroniques ont rapporté 42,5 millions à la LoRo.

(source : tdg.ch/Lucie Monnat)




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