JEUX DE HASARD ET D’ARGENT - Usage problématique : une ardoise impressionnante
Lundi 10 mars 2025

Panorama suisse des addictions 2025
(extrait - Jeux de hasard et d'argent)Lorsqu’on demande à la population helvétique de 15 ans et plus si elle a joué à un jeu de hasard ou d’argent au cours des douze derniers mois, 45 % des personnes interrogées répondent par l’affirmative. Les loteries sont les jeux les plus prisés.
En 2022, 4.3 % des 15 ans et plus présentaient un usage problématique des jeux de hasard ou d’argent. Les jeux en ligne, de même que les machines à sous et les paris sportifs, comportent les risques les plus élevés. Les jeunes hommes sont particulièrement concernés. En même temps, les jeunes sont exposés à une publicité massive. Pour protéger les joueurs, il est fondamental que le législateur limite le marketing. Les pertes de jeu ont continué leur progression et dépassent les deux milliards de francs ; les ménages concernés ploient sous des dettes écrasantes.
1. Situation actuelle
En Suisse, 45 % de la population de 15 ans et plus a joué de l’argent au cours des douze derniers mois, que ce soit dans le cadre d’une loterie, de paris sportifs ou dans un casino. L’éventail de possibilités est large. La Suisse compte 21 maisons de jeu au bénéfice d’une concession, dont 10 proposent des offres en ligne. À côté de ces offres légales, on trouve sur Internet un nombre incalculable de jeux illégaux. La liste des sites internet bloqués ne cesse de s’allonger.
Si les jeux de hasard et d’argent sont généralement considérés comme un simple passe-temps, ils peuvent engendrer une perte de contrôle et avoir des effets négatifs sur la santé, les relations sociales et les activités quotidiennes. Dans quelques cas, un usage problématique peut conduire à une addiction. Le diagnostic de trouble (de type addictif) lié au jeu de hasard et d’argent doit alors être posé dans un cadre clinique.
Menée tous les cinq ans, l’Enquête suisse sur la santé (ESS) fournit des données sur l’usage problématique. La part des personnes qui présentaient un problème de jeux au cours des 12 mois ayant précédé l’enquête (derniers chiffres : 2022) dans la population de 15 ans et plus était de 4.3 %1 ; c’est dans le groupe d’âge le plus jeune (15 à 24 ans) qu’elle est la plus élevée (6.1 %).
Une analyse des données de l’ESS de 2022 commandée par la Commission fédérale des maisons de jeu (CFM) et l’Autorité intercantonale de surveillance des jeux d’argent (Gespa) a révélé que les jeux de hasard et d’argent les plus prisés sont les jeux de loteries suisses, suivis d’autres jeux tels que tombolas ou jeux privés. Le rapport confirme par ailleurs que le risque de développer un problème de jeu est plus important avec les jeux en ligne et sur les machines à sous qu’avec les autres formes de jeu proposées par les casinos suisses.
Une étude d’Addiction Suisse financée par le programme Spielen ohne Sucht a exploré l’impact de la publicité sur les jeunes. La revue de la littérature scientifique montre un lien entre l’exposition à cette publicité et une perception positive des jeux de hasard et d’argent. Le groupe de discussion mené avec des jeunes de 15 ans a confirmé leur exposition à la publicité et son influence sur leur attitude, en particulier vis-à-vis des paris sportifs, qui sont moins considérés comme des jeux de hasard et d’argent. Un autre rapport de recherche élaboré par le GREA met en évidence l’influence de la publicité ciblée sur les comportements individuels et l’utilisation massive des médias sociaux par les opérateurs de jeux.
Les casinos en ligne illégaux n’offrent aucune protection
Deux rapports publiés l’an dernier indiquent que les casinos en ligne sans concession entre 105 et 180 millions de francs. Selon le rapport commandé par la Conférence spécialisée des membres de gouvernements concernés par les jeux d’argent (2022), le produit s’élèverait à 105 millions, tandis que le rapport de la Fédération suisse des casinos avance un montant de 180 millions en 2023. Par ailleurs, plus de 85 % des joueurs ignorent le caractère illégal de ces offres, qui ne proposent aucune mesure de protection (ex. exclusions de jeu).
Les pertes de jeu toujours en hausse
Aux pertes estimées pour les offres illégales s’ajoutent les pertes des joueurs (qui correspondent au produit brut des jeux) lors de jeux proposés par les opérateurs légaux en Suisse. Après avoir légèrement fléchi en 2020, durant l’année de la pandémie, les pertes de jeu sont reparties à la hausse pour atteindre plus de deux milliards de francs (2023 : 2066.9 millions2 ). Cette augmentation est imputable aux casinos en ligne.
L’argent provenant des pertes des joueurs est également affecté à des buts d’utilité publique au niveau cantonal et à l’AVS/AI, ce qui peut soulever des conflits d’intérêts : d’un côté, l’État doit protéger les joueurs du jeu problématique, de l’autre, il finance des tâches d’utilité publique avec leur argent, ce qui est aussi mis en avant dans la publicité pour ces jeux. Cette contradiction affaiblit le rôle du législateur.
Les ménages concernés ploient sous les dettes
Selon les statistiques de Dettes Conseils Suisse, les personnes les plus endettées sont de loin les anciens indépendants et les personnes qui ont un problème de jeu. Chez ces dernières, l’endettement moyen atteint 116 000 francs environ. Avant l’entrée en vigueur de la loi sur les jeux d’argent, quelque 3 500 nouvelles exclusions de jeu étaient prononcées chaque année. Ce chiffre a augmenté de façon marquée depuis 2019. Les maisons de jeu et les loteries en ligne font état de 14 787 nouvelles exclusions de jeu au total en 2023.
Demandes de traitement
Selon le système de monitorage act-info, 2.4 % des personnes admises dans les structures spécialisées participantes en 2023 l’étaient principalement pour des problèmes liés aux jeux de hasard ou d’argent. Les hommes (89 %) étaient nettement plus nombreux que les femmes et l’âge moyen des personnes prises en charge s’élevait à un peu plus de 38 ans. Le nombre de personnes admises principalement pour des problèmes liés au jeu a eu tendance à augmenter ces dernières années. En 2024, les jeux de hasard et d’argent (y compris les loteries et les paris sportifs) ont par ailleurs fait l’objet de 8.2 % des consultations via la plateforme en ligne SafeZone.
2. Politique
Il est temps d’évaluer la loi
Les données actuellement disponibles sur le jeu problématique (douze derniers mois), issues de l’Enquête suisse sur la santé (ESS) 2022, ne permettent pas la comparaison avec celles de l’enquête précédente. De plus, la prévalence à vie de l’usage problématique, pour laquelle aucun changement n’a été enregistré entre 2017 et 2022, est un indicateur peu pertinent. D’autres données, comme les pertes de jeu, les exclusions de jeu et les traitements semblent en effet indiquer une hausse des problèmes au fil du temps. De ce point de vue, l’évaluation de la loi sur les jeux d’argent (LJar) revêt une importance fondamentale.
La LJar, entrée en vigueur en 2019, a remplacé la loi sur les maisons de jeu de 1998 et la loi désuète de 1923 sur les loteries. Elle concrétise l’article constitutionnel sur les jeux d’argent accepté par le peuple et les cantons en 2012. Elle permet l’exploitation en ligne de jeux d’argent de type poker, black jack ou roulette si ces jeux sont proposés par des casinos sis en Suisse.
L’Office fédéral de la justice (OFJ) a mis en place un groupe d’accompagnement qui intègre les cantons et les autorités pour évaluer la loi. Les intérêts de la prévention sont défendus par le Groupement Romand d’Études des Addictions (GREA) au sein de ce groupe. Ce dernier est soutenu par un groupe au sein duquel Addiction Suisse est représentée. Le groupe d’accompagnement définit avec l’OFJ les thèmes de l’évaluation, au nombre desquels figurent :
- les effets de la nouvelle réglementation dans le domaine du marché légal des jeux et l’efficacité des réglementations en vigueur pour certaines catégories de jeux ;
- l’efficacité de la protection des joueur·euse·s contre les dangers inhérents aux jeux de hasard et d’argent ;
- l’efficacité des mesures de lutte contre les jeux de hasard et d’argent illégaux.
L’évaluation est ensuite confiée à une organisation externe.
Éviter les conflits d’intérêts
La LJAr permet à la Loterie Romande et Swisslos de payer les commerçants vendant leurs produits en fonction du chiffre d’affaires généré par ces points de vente. Ce type de contrats servent notamment à fidéliser les gérants de kiosques qui vendent des paris sportifs (Sporttip / Jouezsport !, p. ex.) ou des billets de loteries à tirage (Euromillions, p. ex.). La commission versée est d’autant plus grande que le chiffre d’affaires est élevé. En parallèle, ces mêmes gérants ont l’obligation de repérer et de restreindre l’accès aux dispositifs de loterie aux joueurs à risque afin de les protéger. Dans une initiative parlementaire, la conseillère nationale socialiste Jessica Jaccoud demande l’élimination de ces conflits d’intérêts et la clarification du rôle des différents acteurs.
3. Nos revendications
Le marché Suisse des jeux de hasard et d’argent pèse plusieurs milliards. Mais ces jeux ne sont pas des biens de consommation anodins. Plusieurs mesures sont par conséquent indispensables pour mieux protéger les joueurs.
➔ Mieux contrôler les offres illégales
La loi sur les jeux d’argent prévoit que l’accès aux jeux en ligne soit bloqué lorsque ceux-ci sont proposés en Suisse sans autorisation ou que l’exploitant de ces offres a son siège à l’étranger ou dissimule celui-ci. Les fournisseurs d’accès internet en Suisse doivent mettre en œuvre ces blocages. Il convient aussi d’augmenter les ressources (notamment techniques) pour procéder aux blocages, d’autant plus que les personnes exclues de jeu peuvent continuer de jouer auprès de fournisseurs illégaux.
➔ Repérer l’usage problématique
Les opérateurs et les autorités de surveillance doivent être en mesure d’identifier les personnes qui jouent sur plusieurs plateformes, en ligne et hors ligne, qu’il s’agisse de jeux de casino, de loteries ou de paris. Ce n’est pas le cas actuellement, de sorte que celles dont les mises excèdent leurs possibilités financières ou qui présentent d’autres signes de jeu problématique passent sous le radar. Des limites de dépenses ou des cartes de joueurs nominatives valables dans tout le pays pourraient être utilisées.
➔ Interdire la publicité qui atteint les jeunes
Les jeunes sont la cible aussi bien des opérateurs légaux en Suisse que des fournisseurs étrangers illégaux. Il convient d’adopter des mesures pour y remédier. Les points à discuter sont l’interdiction de la publicité de type lifestyle, de la publicité qui atteint les jeunes, des offres promotionnelles et de la publicité pour les paris sportifs avant et pendant les retransmissions en direct de manifestations sportives.
Les réseaux sociaux devraient en outre être tenus de s’assurer que la publicité pour des offres illégales n’atteint pas les jeunes.
➔ Mettre en place un monitorage pour ne pas « naviguer à vue »
Des données représentatives sur les pratiques de jeu et les conséquences socioéconomiques font défaut en Suisse. Il importe d’instaurer au plus vite un système de monitorage au moyen d’enquêtes répétées, ce qui implique notamment que les autorités de surveillance et les opérateurs mettent leurs informations à disposition.
PANORAMA SUISSE DES ADDICTIONS 2025 - Le business des addictions
Code des maisons de jeu suisses pour la protection des joueurs
Communiqué de presse Pour que le jeu ne devienne pas sérieux.Le jeu accompagne l’homme [...]
Interdits de casinos en Suisse, mais libres d'aller jouer dans les pays voisins
Depuis la semaine passée, les Suisses interdits de casino en raison d'un risque de dépendance [...]
France - Jeux d'argent : vers une taxe sur les gains et une fiscalité plus sévère
Le Conseil des prélèvements obligatoires veut remettre sur la table la fiscalité des jeux [...]
Jeux d’argent et comportement en Suisse : publication d’une nouvelle étude
Berne, 31.10.2024 - La Commission fédérale des maisons de jeu (CFMJ) et l’Autorité [...]